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Cet apôtre fut appelé Jacques, fils
de Zébédée, Jacques, frère de Jean, Boanergès,
c'est-à-dire fils du tonnerre, et Jacques le Majeur. On appelle Jacques,
fils de Zébédée, non pas seulement parce qu'il fut son fils
selon la chair, mais pour faire comprendre son nom. Zébédée
signifie donnant ou donné, et saint Jacques se donna lui-même
à J. C. par sa mort qui fut un martyre; et il a été
donné de Dieu pour être notre patron* spirituel.
* Le lecteur se rappelle que l'auteur s'appelle Jacques.
On l'appelle Jacques, frère de Jean, parce qu'il fut son frère et,
selon la chair et selon la ressemblance de la conduite.
Tous les deux en effet eurent le même zèle, le
même désir de savoir, et firent les mêmes souhaits.
Ils eurent le même zèle pour venger le Seigneur ;
en effet comme les Samaritains ne voulaient pas recevoir J. C.,
Jacques et Jean dirent: "Voulez-vous que nous commandions que le feu du ciel
descende et qu'il consume ces gens-là ?"
Ils eurent le même goût pour apprendre : ce furent eux
principalement qui interrogèrent J. C. au sujet du jour du jugement et
des autres choses à venir.
Ils firent les mêmes souhaits, car tous les deux voulurent avoir
leur place pour s'asseoir l'un à la droite et l'autre à la gauche
de J. C.
On l'appelle fils du tonnerre, en raison du bruit que faisaient ses
prédications, parce qu'il effrayait les méchants, il excitait
les paresseux, et il s'attirait l'admiration générale par la
profondeur de ses paroles. II en fut de lui comme de saint Jean; dont
Bède dit:
"Il a retenti si haut que s'il eût retenti un peu plus, le monde
entier n'aurait pu le contenir."
On l'appelle Jacques le Majeur comme l'autre est appelé le Mineur
: 1° en raison de vocation ; car il fut appelé le premier par J. C.
2° en raison de familiarité ; car J. C. parait avoir été
plus familier avec lui qu'avec l'autre ; on en a la certitude, puisque le Sauveur
l'admettait dans ses secrets ainsi il l'admit à la résurrection
de la jeune fille et à sa glorieuse transfiguration;
3° en raison de sa passion ; car ce fut le premier des apôtres qui
souffrit le martyre. De même qu'on l'appelle majeur pour avoir
été le premier à l'honneur de l'apostolat, de même
on peut l'appeler majeur pour avoir été appelé le premier
à la gloire de l'éternité.
Saint Jacques, apôtre, fils de Zébédée, après l'ascension du Seigneur, prêcha en Judée
et dans le pays de Samarie ; il vint enfin en Espagne, pour y semer la parole de Dieu ;
mais comme il voyait que ses paroles ne profitaient pas, et qu'il n'y avait gagné que
neuf disciples, il en laissa deux seulement pour prêcher, dans le pays, et il revint avec
les autres en Judée. Cependant maître Jean Beleth dit qu'il
ne convertit qu'un seul homme en Espagne.
Pendant qu'il prêchait en Judée, la parole de
Dieu, un magicien nommé Hermogène, d'accord avec les
Pharisiens, envoya à saint Jacques un de ses disciples, nommé Philétus,
pour prouver à l'apôtre que ce qu'il annonçait était faux. Mais l'apôtre
l'ayant convaincu devant une foule de personnes par des preuves évidentes, et
opéré en sa présence de nombreux miracles, Philétus
revint trouver Hermogène, en justifiant la doctrine de saint
Jacques : il raconta en outre les miracles opérés par le saint, déclara vouloir devenir
son disciple et l'exhorta lui-même à l'imiter.
Mais Hermogène
en colère, le rendit tellement immobile par sa magie qu'il ne pouvait remuer un
seul membre : "Nous verrons, dit-il, si ton Jacques te déliera." Philétus informa Jacques de cela par son valet, l'apôtre lui
envoya son suaire et dit : "Qu'il prenne ce suaire et qu'il dise : "Le Seigneur
relève ceux qui sont abattus ; il délie ceux qui sont enchaînés (Ps. CXLV)." Et
aussitôt qu'on eut touché Philétus avec le suaire, il fut
délié de ses chaînes, se moqua des sortilèges d'Hermogène
et se hāta d'aller trouver saint Jacques.
Hermogène irrité
convoqua les démons, et leur ordonna de lui amener Jacques garrotté avec Philétus, afin de se venger d'eux et qu'à l'avenir les
disciples de l'apôtre n'eussent plus l'audace de l'insulter. Or, les
démons qui vinrent vers Jacques se mirent à hurler dans l'air en disant :
"Jacques, apôtre, ayez pitié de nous ; car nous brûlons
dès avant que notre temps soit venu."
Saint-Jacques leur dit :
"Pourquoi êtes-vous venus vers moi ?"
Ils répondirent :
"C'est Hermogène qui nous a envoyés pour
vous amener à lui, avec Philétus ; mais à peine nous
dirigions-nous vers vous que l'ange de Dieu nous a liés avec des chaînes de feu et
nous a beaucoup tourmentés."
"Que l'ange du Seigneur vous délie, reprit
l'apôtre; retournez à Hermogène et amenez-le moi
garrotté, mais sans lui faire de mal."
Ils s'en allèrent donc prendre Hermogène, lui lièrent les mains derrière le dos et
l'amenèrent ainsi garrotté à saint Jacques, en disant : "Où tu nous as
envoyés, nous avons été brûlés et horriblement tourmentés." Et les démons dirent
à saint Jacques :
" Mettez-le sous notre puissance, afin que nous nous vengions des
injures que vous avez reçues et du feu qui nous a brûlés."
Saint Jacques leur dit :
"Voici Philétus devant vous, pourquoi ne le tenez-vous
pas ?"
Les démons répondirent :
"Nous ne pouvons même pas toucher de la main une
fourmi qui est dans vôtre chambre."
Saint Jacques alors dit à Philétus
.
"Afin de rendre le bien pour le mal, selon que J. C. nous l'a enseigné, Hermogéne vous a liés; vous, déliez-le."
Hermogène
libre resta confus et saint Jacques lui dit :
"Va librement où tu voudras ; car nous
n'avons pas pour principe de convertir quelqu'un malgré soi."
Hermogène répondit :
"Je connais trop la rage des démons : Si vous ne me donnez un objet que je
porte avec moi, ils me tueront."
Saint Jacques lui donna son bāton : alors Hermogène alla chercher tous ses livres de magie et les apporta à
l'apôtre pour que celui-ci les brûlāt. Mais saint Jacques, de peur que
l'odeur de ce feu n'incommodāt ceux qui n'étaient point sur leur garde, lui ordonna
de jeter les livres dans la mer. Hermogène, à son retour, se
prosterna aux pieds de l'apôtre et lui dit :
"Libérateur des āmes, accueillez un
pénitent que vous avez épargné jusqu'ici, quoique envieux
et calomniateur." Dès,
lors il vécut dans la crainte de Dieu, au point qu'il opéra une foule de prodiges.
Alors
les Juifs, transportés de colère en voyant Hermogène
converti, vinrent trouver saint Jacques et lui reprochèrent de prêcher Jésus crucifié.
Mais il leur prouva avec évidence par les Écritures la venue du Christ et sa passion, et
plusieurs crurent.
Or, Abiathar, qui était grand-prêtre cette année-là, excita une sédition parmi le
peuple; il fit conduire à Hérode Agrippa l'apôtre, une corde au cou. Le prince
ordonna de décapiter saint Jacques et un paralytique couché sur le chemin lui cria de le
guérir. Saint Jacques lui dit : "Au nom de J. C. pour la foi duquel on va me couper la
tête, lève-toi guéri, et bénis ton créateur."
A l'instant il se leva guéri et
bénit le Seigneur. Or, un scribe appelé Josias, qui avait mis la corde au cou de
l'apôtre et qui le tirait, à la vue de ce miracle, se jeta à ses pieds, lui
adressa des excuses et demanda à se faire chrétien. Abiathar
à cette vue le fit empoigner et lui dit : "Si tu ne maudis le nom du Christ, tu seras
décapité en même temps que Jacques."
Josias reprit : "Maudit sois-tu toi-même,
maudites soient tes années, mais que le nom du Seigneur J. C. soit béni dans les
siècles."
Alors Abiathar lui fit frapper la bouche à coups
de poing et envoya demander à Hérode l'autorisation de le décapiter avec Jacques.
Tous les deux allaient être décapités quand saint Jacques demanda au bourreau un vase
plein d'eau, et baptisa Josias, immédiatement. L'un et l'autre consommèrent leur
martyre, un instant après, en ayant la tête tranchée.
Saint Jacques fut décollé le 8 des
calendes d'avril (25 mars), le jour de l'Annonciation du Seigneur; son corps fut
transporté à Compostelle, le 8 des calendes d'août (25 juillet)
et enseveli le 3 des calendes de janvier (30 décembre), parce que la construction
de son tombeau dura de août à janvier. L'Église établit
qu'on célébrerait universellement sa fête au 8 des calendes d'août, qui est un temps
plus convenable. Or, après que saint Jacques eut été décollé, ainsi que le rapporte
Jean Beleth, qui a écrit avec soin l'histoire de cette
translation, ses disciples enlevèrent son corps pendant 1a nuit par crainte des Juifs,
le mirent sur un vaisseau et abandonnant à la divine Providence le soin de sa
sépulture, ils montèrent sur ce navire dépourvu de gouvernail ; sous la conduite de
l'ange de Dieu, ils abordèrent en Galice, au royaume de Louve.
Il y avait alors en
Espagne une reine qui portait réellement ce nom et qui le méritait. Les disciples
déchargèrent le corps, et le posèrent sur une pierre énorme, qui, en se fondant comme
de la cire sous le corps, se façonna merveilleusement en sarcophage. Les disciples
vinrent dire à Louve : "Le Seigneur J. C. t'envoie le corps de son disciple, afin
que tu reçoives mort celui que tu n'as pas voulu recevoir vivant."
Ils lui racontèrent
alors le miracle par lequel il avait abordé en son pays sans gouvernail ; et lui
demandèrent un lieu convenable pour sa sépulture. La reine entendant cela, toujours
selon Jean Beleth, les adressa, par supercherie, à un homme
très cruel, ou bien, d'après d'autres auteurs, au roi d'Espagne, afin d'obtenir
là-dessus son consentement ; mais ce roi les fit mettre en prison. Or, pendant qu'il
était à table, l'ange du Seigneur ouvrit la prison et les laissa
s'en aller en liberté.
Quand le roi l'eut appris, il envoya à la hāte des soldats pour les
ressaisir. Un pont sur lequel passaient les soldats vint à s'écrouler,
et tous furent noyés dans le fleuve.
A cette nouvelle, le roi, qui regrettait ce qu'il avait fait et qui
craignait pour soi et pour les siens, envoya prier les disciples de revenir chez lui et
leur permit de lui demander tout ce qu'ils voudraient. Ils revinrent donc et convertirent
à la foi tout le peuple de la cité. Louve fut très chagrinée en apprenant ces: faits ;
et quand les disciples la vinrent trouver pour lui présenter l'autorisation du roi,
elle répondit :
"Prenez mes boeufs qui sont en tel endroit ou sur la montagne ;
attelez-les à un char, portez le corps de votre maître, puis dans
le lieu qu'il vous plaira, bātissez à votre goût."
Or, elle parlait en louve, car elle savait que ces
boeufs étaient des taureaux indomptés et sauvages ;
c'est pour cela qu'elle pensa qu'on ne pourrait ni tes réunir, ni les atteler,
ou bien que si on pouvait les accoupler, ils
courraient çà et là, briseraient le char, renverseraient le corps
et tueraient les conducteurs eux-mêmes.
Mais il n'y a point de sagesse contre Dieu (Prov., XXI). Ceux-ci,
ne soupçonnant pas malice, gravissent la montagne, où ils rencontrent un
dragon qui respirait du feu ; il allait arriver sur eux, quand ils firent le
signe de la croix pour se défendre et coupèrent ce dragon
par le milieu du ventre. Ils firent aussi le signe de
la croix sur les taureaux qui, instantanément, deviennent doux comme des
agneaux ; on les attelle on met sur le char le corps de saint Jacques avec la pierre sur
laquelle il avait été déposé. Les boeufs alors, sans
que personne les dirigeāt, amenèrent le corps au milieu du palais de Louve
qui, à cette vue, resta stupéfaite.
Elle crut et se fit chrétienne. Tout ce que les disciples demandèrent,
elle le leur accorda ; elle dédia en l'honneur de saint Jacques son palais
pour en faire une église qu'elle dota magnifiquement ; puis elle finit sa
vie dans la pratique des bonnes œuvres.
Le pape Calixte dit qu'un homme du diocèse de Modène, nommé Bernard,
était captif et enchaîné au fond d'une tour ; constamment il
invoquait saint Jacques.
Le saint lui apparut : "Viens, lui dit-il, suis-moi en Galice" ;
puis il brisa ses chaînes et disparut ; alors le prisonnier suspendit ses
chaînes à son cou, monta au haut de la tour d'où il ne fit
qu'un saut sans se blesser, bien que la tour eût soixante coudées
de hauteur.
Un homme, dit Bède, avait commis à plusieurs reprises un
péché énorme ; or, l'évêque, peu rassuré
en l'absolvant en confession, envoya cet homme à Saint-Jacques en lui
donnant une cédule sur laquelle ce péché avait
été écrit. Le pèlerin posa, le jour de la fête
du saint, la cédule sur l'autel et pria saint Jacques de lui remettre le
péché par ses mérites ; après quoi il ouvrit la
cédule et trouva tout effacé ; il rendit grāces
à Dieu et à saint Jacques et raconta publiquement le fait à
tout le monde.
Trente hommes de la Lorraine, au rapport de Hubert de Besançon, allèrent
vers l'an 1080 à Saint-Jacques, et se donnèrent l'un à
l'autre, un seul excepté, la promesse de s'entr'aider. Or, l'un d'eux
étant tombé malade, ses compagnons l'attendirent pendant 15 jours ;
mais enfin tous l'abandonnent à l'exception de celui-là seul qui
ne s'était pas engagé.
Il le garda au pied du mont Saint-Michel ; mais sur le soir le malade mourut. Or,
le survivant eut une grande peur occasionnée par la solitude de l'endroit, par la
présence du cadavre, par la nuit qui menaçait d'être noire, enfin
par la férocité des barbares du pays ; à l'instant saint
Jacques lui apparut, sous la figure d'un
chevalier et le consola en disant : "Donne-moi ce mort, et toi, monte derrière moi sur
le cheval." Ce fut ainsi que, cette nuit-là avant le lever du soleil, ils firent quinze
journées de chemin et arrivèrent à Montjoie qui n'est qu'à une demi-lieue
de Saint-Jacques. Là le saint les mit à terre et commanda de convoquer les chanoines de
Saint-Jacques pour ensevelir le pèlerin qui était mort, et de dire à ses compagnons,
que, pour avoir manqué à leur promesse, leur pèlerinage ne vaudrait rien. Le pèlerin
accomplit ces ordres, et ses compagnons furent très saisis et pour le chemin qu'il avait
fait, et des paroles qu'il leur rapporta avoir été dites par saint Jacques.
D'après le pape Calixte, un Allemand,
allant avec son fils à Saint-Jacques, vers l'an du Seigneur 1090, s'arrêta pour
loger à Toulouse chez un hôte qui l'enivra et cacha une coupe d'argent dans sa
malle. Quand ils furent partis le lendemain, l'hôte les poursuivit comme des
voleurs et leur reprocha d'avoir volé sa coupe d'argent. Comme ils lui disaient qu'il les
fît punir s'il pouvait trouver la coupe sur eux, on ouvrit
leur malle et on trouva l'objet : on les traîna de suite chez le juge.
Il
y eut un jugement qui prononçait que tout leur avoir fût adjugé à l'hôte, et que
l'un des deux serait pendu. Mais comme le père voulait mourir à la place du fils
et le fils à la place du père, le fils fut pendu et le père continua, tout chagrin, sa
route vers Saint-Jacques. Or, vingt-six jours après, il revint, s'arrêta auprès du
corps de son fils et il poussait des cris lamentables, quand voici que le fils attaché à
la potence se mit à le consoler en disant : "Très doux père, ne pleure pas, car je
n'ai jamais été si bien ; jusqu'à ce jour saint Jacques
m'a sustenté, et il me restaure d'une douceur céleste." En entendant cela,
le père courut à la ville, le peuple vint, détacha le fils du pèlerin qui était sain
et sauf, et pendit l'hôte.
Hugues de Saint-Victor raconte qu'un pèlerin
allait à Saint-Jacques, quand le démon lui apparut sous la figure de ce saint et lui
rappelant toutes les misères de la vie présente, il ajouta qu'il serait heureux s'il se
tuait en son honneur. Le pèlerin saisit une épée et se tua tout aussitôt. Et comme
celui chez lequel il avait reçu l'hospitalité passait pour suspect et craignait
beaucoup de mourir, voilà que, à l'instant, le mort ressuscite, et dit qu'au moment
où le démon, à la persuasion duquel il s'était donné la mort, le conduisait au
supplice, le bienheureux Jacques était venu, l'avait arraché des mains du démon
et l'avait mené au trône du souverain juge ; et là, malgré les accusations du démon, il avait obtenu d'être rendu à la vie.
Un jeune homme du territoire de Lyon, selon le récit de Hugues,
abbé de Cluny, avait coutume d'aller souvent à Saint-Jacques et
avec dévotion. Une fois qu'il y voulait aller, il tomba, cette nuit-là
même, dans le péché de fornication. Il partit donc; et
une nuit, le diable lui apparut sous la figure de saint Jacques et lui dit :
"Sais-tu qui je suis?" Le jeune homme lui
demanda qui il était, et le diable lui dit :
"Je suis l'apôtre Jacques que tu as
coutume de visiter chaque année. Tu sauras que je me réjouissais
beaucoup de ta dévotion, mais dernièrement, en sortant de ta maison,
tu as commis une fornication et sans t'être confessé, tu as eu la
présomption de t'approcher de moi, comme si ton pèlerinage pût
plaire à Dieu et à moi. Cela n'est pas
convenable : car quiconque désire venir à moi en pèlerinage
doit d'abord s'accuser de ses péchés en confession et ensuite
faire le pèlerinage pour expier ses péchés."
Après avoir dit ces mots; le démon disparut. Alors le jeune homme
tourmenté se disposait à revenir, chez lui, à se confesser,
et ensuite à recommencer son voyage. Et
voici que le diable lui apparaissant de nouveau, sous la figure de l'apôtre, le
dissuada complètement de son projet, en l'assurant que jamais son
péché ne lui serait remis, s'il ne se coupait radicalement les
membres qui servent à la génération,
qu'au reste il serait plus heureux, s'il voulait se tuer et être martyr en
son honneur et nom. Pendant la nuit, et quand ses compagnons dormaient, le jeune
homme prit une épée, se coupa les membres de la génération,
ensuite il se perça le ventre avec le même instrument. Ses compagnons à
leur réveil, voyant cela, eurent grande peur, et prirent
aussitôt la fuite de crainte de passer pour coupables de cet homicide.
Néanmoins pendant qu'on préparait sa fosse, celui qui était
mort revint à la vie.
Tout le monde s'enfuit épouvanté, et le pèlerin raconta
ainsi ce qui lui était arrivé :
"Quand je me fus tué à la suggestion du malin esprit, les démons
me prirent ; et ils me conduisaient vers Rome, quand voici saint Jacques qui
accourut après nous, en reprochant vivement ces tromperies aux démons.
Et après s'être disputés longtemps, saint Jacques
les y forçant, nous vînmes dans un pré où la sainte Vierge
s'entretenait avec un grand nombre de saints. Jacques l'ayant implorée
pour moi, la sainte Vierge adressa des reproches sévères aux
démons et ordonna que je revinsse à la vie. Alors saint Jacques
me prit et me ressuscita, comme vous voyez."
Et trois jours, après il ne lui restait de
ses blessures que des cicatrices ; après quoi il se remit en route, et quand il eut
rejoint ses compagnons, il leur raconta tout ce qui s'était passé.
Un Français, ainsi que le raconte le pape Calixte, allait, en l'an 1100,
avec sa femme et ses fils, à Saint Jacques, tant pour éviter la
mortalité sévissant en France, que pour accomplir le désir
de visiter saint Jacques. Arrivé à Pampelune, sa femme mourut, et
son hôte s'empara de tout son argent et du cheval qui servait de monture
à ses enfants. Il s'en alla désolé portant plusieurs de ses
enfants sur ses épaules et menant les autres par la main.
Un homme avec un āne le rencontra et touché de compassion, il lui
prêta son āne, afin que les enfants montassent dessus. Quand le
pèlerin fut arrivé à Saint-Jacques, pendant qu'il
veillait et priait, le saint apôtre lui apparut et lui demanda s'il le connaissait ;
et il répondit que non ; alors le saint lui dit : "Je suis l'apôtre Jacques qui
t'ai prêté mon āne et je te le prête encore pour ton retour ; mais tu sauras
d'avance que ton hôte mourra en tombant de l'étage de sa maison ; tu recouvreras
alors tout ce qu'il t'avait volé." Les choses étant arrivées ainsi, cet homme revint
joyeux à sa maison ; et quand il eut descendu ses enfants de dessus l'āne, cet
animal disparut.
Un marchand, injustement dépouillé par un tyran, était détenu
en prison, et invoquait saint Jacques à son secours. Saint Jacques lui apparut en
présence de ses gardes et le conduisit jusqu'au haut de la tour qui s'abaissa aussitôt
de telle sorte que le sommet était au niveau de la terre : il en descendit sans faire un
saut et s'en alla délivré. Les gardes qui le poursuivaient passèrent auprès de lui, sans le voir.
Hubert de Besançon raconte que trois militaires, du diocèse de
Lyon, allaient à Saint-Jacques. L'un d'eux, à la prière d'une pauvre femme qui le lui
avait demandé pour l'amour de saint Jacques, portait sur son cheval un petit sac
qu'elle avait plus loin, il rencontra un homme malade et qui n'avait plus la force de
continuer sa route, il le mit encore sur son cheval ; quant à lui, il portait le bourdon
du malade avec le sac de la femme en suivant l'animal : mais la chaleur du soleil et
la fatigue du chemin l'ayant accablé, à son arrivée en Galice, il tomba très
gravement malade : et comme ses compagnons l'intéressaient au salut de son
āme, il resta muet pendant trois jours ; mais au quatrième, alors que ses compagnons
attendaient le moment de son trépas, il poussa un long soupir et dit : "Grāces
soient rendues à Dieu et à saint Jacques, aux mérites duquel je dois d'être délivré.
Je voulais bien faire ce que vous me recommandiez, mais les démons sont venus m'étrangler si violemment que je ne pouvais
rien prononcer qui eût rapport au salut de mon āme. Je vous entendais bien, mais je ne
pouvais nullement répondre. Cependant saint Jacques vient d'entrer ici portant à la main
gauche le sac de la femme, et à sa droite le bāton du pauvre auxquels j'avais prêté
aide en chemin, de sorte qu'il avait le bourdon en guise de lame et le sac pour bouclier,
il assaillit les diables comme s'il eût été en colère, et en levant le bāton, il les
effraya et les mit en fuite. Maintenant c'est grāce à saint Jacques que je suis
délivré et que la parole m'a été
rendue. Appelez-moi un prêtre, car je ne puis plus être longtemps en vie." Et se
tournant vers l'un deux, il lui dit : "Mon ami, ne reste plus davantage au service
de ton maître, car il est vraiment damné et dans peu il mourra de malemort."
Quand
cet homme eut été enseveli, le soldat rapporta à son maître ce qui avait été dit :
celui-ci n'en tint compte, et refusa de s'amender : mais peu de temps après il mourut
percé d'un coup de lance dans une bataille.
Le pape Calixte rapporte qu'un homme de Vézelay, dans un pèlerinage qu'il fit à Saint-Jacques, se trouvant à court d'argent, avait honte de mendier.
En se reposant sous un arbre, il songeait que saint Jacques le nourrissait.
Et à son réveil, il trouva près de sa tête
un pain cuit sous la cendre, avec lequel il vécut quinze
jours, tant qu'il arriva chez lui. Chaque jour il en mangeait deux
fois suffisamment, et le jour suivant, il le retrouvait entier dans son sac.
Le pape Calixte raconte que vers l'an du Seigneur 1100, un citoyen de
Barcelone, venu à Saint-Jacques, se contenta de demander de ne
plus tomber à l'avenir dans les mains des ennemis.
En revenant par la Sicile, il fut pris en mer par les Sarrasins et vendu
plusieurs fois dans les marchés, mais toujours les chaînes qui le
liaient se brisaient.
Ayant été vendu pour la treizième fois, il fut garrotté avec des chaînes doubles.
Alors il invoqua saint Jacques qui lui apparut et lui dit :
"Quand tu étais dans mon église, tu as demandé la
délivrance du corps au préjudice du salut de ton āme ; c'est
pour cela que tu es tombé dans ces périls; mais parce que le Seigneur est
miséricordieux, il m'a envoyé pour te racheter."
A l'instant ses chaînes se rompirent, et passant à travers le pays et
les chāteaux des Sarrasins, emportant avec lui une partie de sa chaîne pour témoigner
du miracle, il arriva dans son pays, au vu et à l'admiration de tous. Lorsque
quelqu'un le voulait prendre; il n'avait qu'à montrer sa chaîne et l'ennemi
s'enfuyait : et quand les lions et autres bêtes féroces voulaient se jeter sur lui, en
passant dans les déserts, seulement en voyant sa chaîne, ils étaient saisis d'une
grande terreur et s'éloignaient.
L'an du Seigneur 1238, la veille de saint Jacques, en un château appelé
Prato situé entre Florence et Pistoie, un jeune homme, déçu par
une simplicité grossière, mit le feu aux blés de son tuteur
qui voulait usurper son bien. Pris et convaincu, il fut condamné à
être brûlé, après avoir été
traîné à la queue d'un cheval.
Il confessa son péché et se dévoua à saint Jacques.
Après avoir été traîné en chemise sur
un terrain pierreux, il ne ressentit aucune blessure sur le corps et sa chemise
ne fut pas même déchirée. Enfin on
le lie au poteau, on amasse du bois autour ; le feu est mis, le bois et les
liens brûlentV; mais comme il ne cessait d'invoquer saint Jacques, aucune
tache de feu ne fut trouvée ni à sa chemise, ni à son corps.
On voulait le jeter une seconde fois dans le feu, le peuple l'en arracha, et
Dieu fut loué magnifiquement dans la personne de son saint apôtre.
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